À 110 kilomètres au sud-est de Paris, à Saint-Julien-du-Sault, dissimulées dans la forêt, sommeillent quatre maisons posées sur l’herbe, chacune conçue dans une clairière distincte avec son jardin particulier. Imaginées et construites successivement par Jean Daladier, de 1968 à 1982, ces maisons individuelles à géométries nouvelles sont des prototypes pour des réalisations urbaines ou des villas individuelles.
Elles répondent à un rêve, une vision : créer une architecture novatrice, évolutive, respectueuse de l’environnement et en osmose avec lui. Car aux yeux de leur concepteur, l’architecture est avant tout une façon de repenser le rapport à l’habitat, à la nature et à travers elle les rapports entre les êtres qui se meuvent, les plantes, les forces de la nature et le spirituel.
La maison Contrepoint de Jean Daladier fait suite au premier prototype « Les 3 coupoles » 1968.
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Contrepoint

La construction en 1969-1970 du deuxième prototype – Contrepoint –, un antéprisme aux formes et ouvertures triangulaires, répond également à cette démarche d’auto construction économique, juxtaposable, superposable et ouverte sur la nature.
Cette demeure tranche par son architecture avec la première.
Au rez-de-chaussée, des pans entiers de façade en ossature bois ont été notamment imaginés de manière à pouvoir s’ouvrir comme des auvents de tente.
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Le deuxième prototype a été en effet pensé comme un contrepoint à la première construction, une « respiration pour pouvoir continuer », selon les termes de Jean Daladier qui aime moins cette construction, néanmoins « nécessaire » pour entamer en 1970 la construction du troisième prototype : « la Géode ». Celle-ci allie à nouveau recherche, innovation, artisanat et savoir faire. Savoir-faire concentré à Saint-Julien- du-Sault, dans les mains de Jean Nicolas chef de chantier originaire de Barcelonne et une équipe d’ouvriers catalans immigrés en France qui travaillèrent sous sa direction et avec lesquels Jean Daladier communiquait en catalan.
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Le premier prototype reçoit cependant un accueil mesuré de la part de la direction de la Construction du ministère de l’Équipement. Yves Aubert qui la dirige octroie néanmoins une subvention financière modique à ce projet. Quant aux permis de construction octroyés à Jean Daladier, ils le sont à la condition que les maisons ne soient visibles de nulle part.
Robert Lion qui a succédé à Yves Aubert en juin 1969 se souvient : « En cinq ans, Yves Aubert n’avait accepté que deux propositions innovantes dont celle de Jean Daladier alors qu’il était sollicité tous les jours. Il y avait alors une opposition radicale de tout le corps administratif concernant ces dossiers. Je me rappelle encore, lorsque j’ai pris la direction de la construction, d’avoir demandé ce que cette direction avait entrepris en matière d’innovation architecturale, et de ces propos sur les maisons de Jean Daladier qui n’avaient été autorisées à la construction à condition qu’on ne les voie de nulle part ! J’en fus tellement scandalisé que j’ai commencé à chercher sans en référer à notre ministre Albin Chalandon, les voies et les moyens pour encourager en France à l’innovation architecturale et technologique. »
Une seule fois, à la fin de l’année 1969, Robert Lion et Jean Daladier se sont rencontrés à la demande de l’architecte qui l’invite à venir à Saint-Julien-du-Sault visiter « Les trois coupoles » et la seconde demeure à facettes triangulaires en cours de finition. « Je n’ai pas été assez malin pour trouver le temps de le faire », dit à regret aujourd’hui Robert Lion tout en soulignant que « l’opération de Jean Daladier fut une charnière révolutionnaire ». Charnière révolutionnaire aux yeux de l’ancien directeur pour les programmes d’architecture qui se sont développés par la suite au niveau des HLM et l’émergence d’une nouvelle génération d’architectes que ces commandes ont générée.
Jean Daladier espère trouver du soutien du côté de la Caisse des Dépôts et Consignations et de la Banque de Construction et des Travaux Public. En vain. Les trois coupoles demeureront comme ses futurs prototypes, la maison à faces triangulaires et la géode, au stade de la pièce unique.
Les différents projets envisagés et auxquels concourt l’agence de Jean Daladier parmi lequel une chapelle à Haïti, un projet de village de vacances, des aires de repos et de péage pour l’autoroute Paris-Provins où l’architecte introduit les coupoles et le deuxième prototype ne sont pas retenus.
Dans la plaquette de présentation de ce dernier projet, on peut voir l’agencement des deux premiers prototypes réalisés à Saint-Julien-du-Sault et mesurer tout le potentiel de ce type d’architecture à une échelle autre que celle d’une maison particulière. (photos)
Une ouverture viendra de son ami Jean Degottex et de l’exposition « Horspaces, Horlignes » de Degottex-Daladier qui a lieu du 12 mai au 6 juin 1970 à l’ARC.
Pierre Gaudibert, créateur en 1967 et directeur de l’ARC (Animation, Recherche, Confrontation, la section contemporaine du musée d’Art moderne de la ville de Paris) a invité le peintre à exposer ses dernières œuvres. Degottex tient à y associer l’architecture et la danse.
La structure des coupoles de Jean Daladier est ainsi mise en résonances avec les œuvres récentes de Jean Degottex, notamment les « Spacifiques » tandis que quelques danseurs de la compagnie de Merce Cunningham accompagné de John Cage sont invités à se produire au milieu des œuvres le 28 mai 1970.
Une réplique en bois d’un des éléments de la triple coupole d’une superficie au sol de 55 m2 est réalisée et disposée dans une des salles avenue du président Wilson. À l’intérieur trois « Spacifiques » de Jean Degottex ont été accrochées tandis que dans d’autres salles se développent « les Horspaces, en dix éléments de 2,80 m de haut sur châssis de 10 cm d’épaisseur en forme de fenêtre romaine fendue d’une rainure verticale s’élargissant et s’encastrant davantage d’une toile à une autre ».
L’exposition suscite des articles dans les magazines d’art et des reportages photos à Saint-Julien-du-Sault. Des visites des trois coupoles s’organisent et enthousiasment, suscite des visites. Elles génèrent des désirs de maison sans pour autant entrainer des commandes fermes.
Jean Daladier et ses collaborateurs, Henri Delekta et Jean Nicolas, n’en continuent pas moins d’élaborer des projets, d’expérimenter et de construire un troisième prototype à la forme de géode. Avec néanmoins toujours l’obligation humiliante de n’être visible de nulle part.

Source Christine Coste - Dossier de présentation pour la DRAC Bourgogne

Contrepoint en images

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La Maison Contrepoint fut rénovée en 2015 sans dénaturation de l’oeuvre originelle. L’étage est composé de trois chambres, deux salles de bain et wc, une terrasse. Le rez de chaussée comprend deux chambres, deux salles de bain et wc, une cuisine et un salon-séjour dallé en pierre de Bourgogne. La nature s’invite dans la maison à travers les vitrages triangulaires présents dans toutes les pièces.

Aujourd’hui, la Contrepoint est la seule maison expérimentale habitée. C'est l'architecte Carlos Londono qui l'a entièrement réhabilité tout en respectant les choix de Jean Daladier. "Il avait fait une charte qui préconisait que ces maisons pouvaient être adaptées en fonction des époques modernes et aux nouvelles normes techniques d’étanchéité ce qui nous a permis de la rénover. Comme elle était entièrement recouverte de bitume et qu’aujourd’hui ce matériau est interdit, nous avons décidé avec l’accord des bâtiments de France, de refaire la toiture en zinc, et tous les triangles qui forment les fenêtres ont été réalisés en bois, recouvert de zinc blanc à l’extérieur pour pouvoir mieux les protéger des intempéries. Ainsi, la maison est identique à celle conçue par Jean Daladier mais les matériaux utilisés ont été adaptés aux exigences environnementales d’aujourd’hui."

La maison peut être visitée lors des Journées du Patrimoine et tout au long de l’année sur simple rendez-vous. La maison Contrepoint est un bijou d’architecture et une pièce unique au monde.
Ces maisons expérimentales de Jean Daladier (dans le bois de Sèves entre Bussy-le-repos et Saint-Julien-du-Sault) sont aujourd'hui inscrites ou classées aux monuments historiques. Il est donc possible de les visiter à l'occasion des journées du patrimoine. Vous pouvez également les visiter toute l’année sur rendez-vous.